Michel Nittis
Son ouvrage de Science-Fiction Avant que tout ne recommence a été un véritable coup de coeur pour nous. Le style très émouvant de cet auteur, perpétuel rêveur, nous a donné envie d’en savoir plus sur lui et son parcours. Voici une interview de Michel Nittis, réalisée pour Limaginaria.com en Octobre 2011.
Felixita : Bonjour Michel, pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Michel Nittis : Pour me présenter, le seul qualificatif auquel je pense est celui de rêveur, ou plutôt d’ancien rêveur, parce qu’avec l’âge ça m’a un peu passé. J’ai 56 ans et je vis aujourd’hui paisiblement avec ma petite famille, accessoirement poussé par des élans de créativité. Je me vois comme un être gambergeant et réservé, pas toujours à l’aise dans la plus extravertie des villes : Marseille, là où je suis né.
F : Nous avons pu lire que « Avant que tout ne recommence » n’est pas votre première publication, mais que votre dernière publication avant ce roman remonte à très longtemps. Que s’est-il passé entre temps ?
Aviez-vous délaissé l’écriture et/ou le monde de l’édition ?
MN : Je suis un auteur occasionnel. Je n’écris pas assez pour me prétendre écrivain. Si j’ai pensé un jour le devenir, c’était il y a très longtemps. Je suppose que le véritable écrivain cherche toujours un sujet, son angoisse c’est la page blanche. Ecrire pour écrire ne m’intéresse pas. Des idées de roman, je peux en trouver. La plupart du temps elles sont sans rapport avec moi, elles me semblent extérieures, je préfère les laisser aux professionnels. Je n’ai connu que deux moments dans ma vie où le livre était là, dans ma tête, un moment de crise pour le premier, d’élan poétique pour le second ; quelque chose de viscéral, d’irrésistible, d’exclusif, un travail que nul ne pourrait faire à ma place et dont il fallait que je me débarrasse.
F : Comment vous est venue l’idée d’ « Avant que tout ne recommence » ? Quelles ont été vos influences pour cet ouvrage résolument SF ?
MN : L’idée est ancienne. Elle avait déjà fait l’objet d’une nouvelle dans mon premier ouvrage, elle-même inspirée d’un vieux scénario de BD demeuré dans un tiroir. Ça a commencé ainsi : une jeune femme moderne vient enquiquiner dans son antre solitaire une sorte d’anarchiste absolu. Pourquoi faire de la SF avec ça ? Parce que la Terre est de plus en plus petite pour les hommes libres. Dans le cosmos infini on peut échapper à tout. Et puis c’est si agréable de changer de décor. J’ai grandi avec les premiers pas de Tintin, puis des Américains sur la Lune. Il y avait aussi cette BD espagnole, Dani Futuro. On y voyageait dans un XXII ème siècle baroque et fleuri, c’était merveilleux. Dans ces pages j’ai découvert l’antigravitation. Pour moi ce n’était pas seulement un moyen de se déplacer, c’était l’énergie qui devait libérer l’humanité. Il y a quelques clins d’œil dans mon roman en hommage à cette série. Voilà pour mes influences. A l’époque le futur était fascinant. C’était mon refuge utopique.
F : L’écriture de ce roman a-t-il été facile ? Quel genre d’auteur êtes-vous ? Plutôt du genre à établir un plan très détaillé ou au
contraire à vous laisser porter par l’inspiration ?
MN : Le socle de ce roman est assez poétique. L’écrire n’a pas été facile. Mais je savais que le plaisir serait au rendez-vous. Je me suis donc efforcé de travailler tous les jours, ne serait-ce qu’un petit peu, mais tous les jours, sinon c’était le risque de panne. Il me fallait être très exigeant. Quand la phrase me semblait fausse, étrangère, « pas de moi », je la remettais sur le métier. C’était intuitif. Dans ma tête il y avait d’abord des images, des attitudes, des ambiances, avant que tout cela ne devienne des mots et une histoire. Mais je suis aussi quelqu’un de rationnel : j’ai veillé à la cohérence de l’ensemble.
F : Que pensez-vous de la littérature SF d’aujourd’hui ?
Pensez-vous qu’il s’agisse d’un genre dans lequel tout a déjà été fait ou au contraire qu’il reste encore beaucoup de pistes à explorer ?
MN : J’aurais du mal à répondre à cette question pour les bonnes raisons que je ne suis pas un spécialiste et que je ne lis plus autant de SF qu’autrefois. Mais peu importe les genres ! Les auteurs devront toujours raconter des histoires romanesques, avec des personnages qui souffrent et qui doutent. Qu’ils n’essaient pas d’inventer, même s’il s’agit de SF et de futur, mais qu’ils le rêvent ce futur, qu’ils soient sincères et que ça vienne de leurs tripes : les lecteurs en seront d’autant plus émus. Mon roman a beau se situer dans trois ou quatre mille ans, les préoccupations domestiques de mes personnages font que ceux-ci nous paraissent proches. Un jour j’ai lu une réflexion du peintre Eugène Delacroix. Il ne croyait pas trop à la nouveauté absolue. Pour lui, tout ce que nous avons à faire c’est dire et redire ce qui n’a pas été assez dit.
F : Votre style et vos personnages sont extrêmement portés sur les émotions, là où d’autres auteurs se focaliseront sur l’action ou la description… Pourquoi ce choix ? En quoi pensez-vous que cela peut vous démarquer des autres auteurs ?
MN : L’intérêt pour moi était de poser des hommes sur d’autres mondes et de les laisser là, dans le silence de leurs méditations. C’était plus important que les aventures qu’ils allaient y vivre. L’univers est fascinant, non pas pour les aliens qu’il peut dissimuler, mais pour les contrées, les fleuves et les montagnes qu’il reproduit à l’infini et que nous ne verrons jamais. Voyez les magnifiques photographies prises par le télescope Hubble, ce profond cosmos peuplé de milliards de galaxies, belles comme les lumières d’une ville la nuit. C’est cela qui me fait frissonner. Je n’ai nul besoin d’extraterrestres et de créatures fantastiques. J’ai décrit des humains esseulés dans le cosmos, et qui cherchent à donner un sens à leur action. Ce n’est pas un choix, pas plus une volonté de me démarquer. C’est venu naturellement.
F : Le personnage de Jac Mauregrande est un personnage très charismatique. Comment avez-vous abordé sa création ?
MN : J’ai dit un peu plus haut que dans le cosmos infini on peut échapper à tout. Aussi bien à la dictature qu’à la démocratie. Jac Mauregrande a un côté asocial que j’aime bien. J’ai toujours eu un faible pour ces personnages qui vont en sens contraire de la foule, pour ces cow-boys taciturnes et désenchantés qu’on vient un jour déranger parce qu’il y a un travail à faire. Jac Mauregrande s’inscrit aussi dans l’esprit de mon premier ouvrage, Odieux inconnu, un recueil de nouvelles humoristiques et anarchisantes.
F : Vous avez publié votre romans aux éditions Sombres Rets. Comment s’est passé votre recherche d’éditeur ? Et pourquoi avoir choisi Sombres Rets pour votre texte ?
MN : Tout d’abord je ne tenais pas à renouveler l’expérience de mon premier livre qui a été auto-édité. Ça s’était bien passé, les critiques étaient très bonnes, mais cette fois je voulais absolument être publié à compte d’éditeur. Alors il faut s’armer de patience, il faut y croire à sa prose. Les refus étaient souvent personnalisés. J’ai tenu grâce à ça. Il paraît que c’est bon signe. Je ne négligeais pas les éditeurs de ma ville natale, mais à Marseille on ne faisait que du polar. Et puis un beau jour, en surfant sur internet, je suis tombé sur Sombres Rets. Cette maison d’édition était là, à quelques kilomètres de chez moi, et j’ignorais son existence. Il faut dire qu’elle n’était pas encore fondée quand j’ai commencé à poster mes manuscrits. Je suis passé devant et j’ai glissé l’enveloppe dans la boîte.
F: La couverture est un élément fort du roman car elle le rend
encore plus profond et poétique. Comment s’est passé sa conception ? Avez-vous donné beaucoup d’indications à Elie Darco (l’illustratrice) ou au contraire lui avez-vous laissé carte blanche pour exprimer son art ?
MN : Elie a bien travaillé, en effet. Je crois lui avoir suggéré le reflet de la planète dans l’étang. Pour le reste, je l’ai laissée faire. J’ai trouvé le personnage pas assez viril à mon goût, mais j’ai fait confiance à la sensibilité féminine. Je ne le regrette pas.
F : Avez-vous des anecdotes particulières à nous livrer sur l’écriture ou la réalisation du roman ?
MN : Oui. Je m’étais adressé à tort aux éditions Mango. Ils ne font que de la SF pour adolescents. A l’époque, le directeur littéraire était Denis Guiot, le spécialiste de SF qu’on ne présente plus. Il a tout de même pris la peine de parcourir le manuscrit, et m’a répondu que l’ouvrage avait toutes les qualités pour être retenu. Il avait apprécié la qualité de la narration, mon écriture poétique, et avait qualifié le roman de « space opera de bonne facture mâtiné de nostalgie ». Voilà un exemple de refus personnalisé qui mérite d’être encadré.
F : Votre ouvrage a été placé dans la partie « Coup de coeur » de notre site, quels ont été les autres retours que vous avez pu avoir de la part des lecteurs ?
MN : Il y a ceux qui sont insensibles à la poésie des étoiles, ceux qui ont beaucoup aimé, et ceux qui viennent me voir pour me dire qu’ils ont été subjugués, époustouflés. Là, il s’agit de témoignages forts qui me font chaud au cœur. J’ai aussi l’impression que ce roman séduit un lectorat habituellement réfractaire à la SF. C’est intéressant mais un peu tôt pour tirer des conclusions. A suivre, donc…
F : Quels sont vos projets littéraires pour la fin de cette année et l’année prochaine ?
MN : Mon prochain ouvrage n’est pas pour demain. J’ai un projet autobiographique destiné surtout à ma famille. J’ai des choses à dire sur mon enfance. J’ignore quelle forme cela prendra. Et comme je demeure un incorrigible rêveur, j’aimerais bien voir un jour mon roman publié en livre de poche.