Merfer, de China Miéville

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Merfer, de China Miéville (one shot, éditions Fleuve Noir)

Des rails, à perte de vue. Ainsi est la Merfer sur la planète, parcourue par des trains de toutes sortes et de tous objectifs. A travers le Médes, un train-taupier, on fait la rencontre de Sahm, jeune-homme rêveur, apprenti médecin raté et qui se trouve là plus par devoir que par envie.
A bord, la capitaine Picbaie n’a qu’une obsession : chasser celle qui la hante depuis qu’elle a arraché son bras, la fameuse Jackie La Nargue.
A toute allure, les protagonistes n’auront de cesse de poursuivre leur rêve, quitte à ce que cela les mène à l’ultime arrêt : le bout du monde.

J’avais beaucoup entendu parler de China Miéville, dont plusieurs romans parus précédemment m’ont attiré, sans que je ne franchisse le cap. Quand l’occasion me fut donnée de découvrir sa plume à travers une histoire aussi singulière que celle de Merfer, je n’ai pas hésité.
Merfer est un roman très dynamique digne de films d’action américain tels que Mad Max. Il s’agit d’une histoire de piraterie, à la différence que vous remplacez la mer par des rails, et les bateaux par des trains.
Le monde de China Miéville est peuplé de créatures étranges et hostiles, qui hantent les sous-sols ou ont pris possession de l’atmosphère toxique de la planète. Si bien que les habitants du monde n’ont pas vraiment envie de mettre pied à terre sans une vraie bonne raison.
J’ai bien aimé le personnage de Sham. Adolescent en pleine recherche de lui-même, il est aussi maladroit qu’on pourrait l’attendre. Au début du roman, il fait les choses par devoir, parce que c’est ce que l’on attend de lui. Mais petit à petit il prend de l’assurance et commence à faire des choix plus personnels qui parleront à nombre de lecteurs : que veut-on faire de sa vie, dans la vie ?
D’autres personnages sont intéressants comme la capitaine Picbaie. Une femme forte comme un homme qui n’a pas son pareil pour imposer son autorité. C’est vraiment le second personnage que j’ai aimé dans ce titre.
Malgré ses bons points, je reste sur une impression mi-figue mi-raisin sur ce titre car je suis ressortie de ma lecture avec un goût d’inachevé.
En effet, l’environnement de Merfer me semble un peu fragile. Il y a beaucoup de bonnes idées et l’ambiance globale, toute en fer, en vapeur et en créatures terribles est bien posée. En revanche, les bases du roman m’ont paru faibles.
On ne sait pas vraiment qui a posé cette Merfer, ni pourquoi, ni quand. On apprend qu’il s’agit plus ou moins de la planète Terre, car plusieurs éléments exhumés s’y rapportent, et des références aux temps anciens. Mais que sont devenus les hommes de notre époque ? Pourquoi ont-ils disparus ? Que s’est-il passé pour qu’une frange de la population revienne ainsi à un âge que l’on pourrait qualifier « d’antérieur » (la médecine n’a pas l’air très avancée, de ce qu’on nous en dit à bord du Médes). Pourquoi cette régression ?
On ne sait donc jamais vraiment de quoi sont parties les choses que l’on nous demande de tenir pour acquis, et j’ai personnellement du mal à adhérer quand c’est ainsi.
Par exemple cette Merfer sur laquelle cheminent de nombreux trains est intéressante, mais est-elle physiquement réalisable ? Je veux dire, quand des trains sont lancés à pleine vitesse, comment peuvent-ils ne pas entrer en collision ? Quand un train en suit un autre, comment peut-il avoir le dessus sur celui qu’il poursuit, sachant que par définition il sera toujours derrière ? Quand les trains veulent changer rapidement de voie, cela se fait-il en quelques secondes ? N’y a-t-il aucun organisme de contrôle sur lequel s’appuyer pour s’assurer que la voie est sûre ? Qu’il n’y a pas quelqu’un qui va s’engager en même temps ou quelqu’un à quelques kilomètres devant qui va les gêner ?
J’ai eu un peu de mal à imaginer toutes ses considérations, et par conséquent à adhérer au monde proposé par l’auteur dans cet ouvrage.
Même chose quand il s’agit du phrasé : tous les « et » sont remplacés par l’esperluette « & » plutôt difficile à lire sur la longueur. Des mots de notre époque sont remplacés par d’autres, ce qui donne un sentiment confus. Par exemple les « photos » sont appelées des « plato ». Pourquoi ? Entre les esperluettes et les éléments à remplacer, la lecture se transforme parfois en exercice de traduction compliqué quand on a eu une rude journée. Les animaux subissent aussi ce phénomène et si certains sont totalement inventés comme les darbounes (taupes géantes), d’autres que nous connaissons changent de noms sans raison particulière (là encore je me demande pourquoi les mots ont changés, cette civilisation n’avait-elle pas de lien avec la nôtre ? Est-ce un monde différent ? Comment celui-ci a-t-il évolué ? Ces questions me sont revenues sans cesse au fil de ma lecture).
Côté histoire, les choses peinent également à décoller. Plusieurs éléments viennent parsemer le récit. Des éléments suffisamment grandioses pour constituer à eux seuls une histoire. Si bien qu’avec le recul du lecteur, j’ai un peu de mal à déterminer en une phrase l’élément principal du roman. Est-ce ce que trouve Sham dans une vieille locomotive ? La poursuite de Jackie la Nargue (comme semble le dire le résumé), l’élément final qui constitue la quête ultime ?
J’hésite. Là encore cela me paraît fragile. D’ailleurs j’ai eu du mal à entrer dans le roman à cause de la vitesse de narration (on passe souvent d’une chose à l’autre avec des transitions floues) et à cause de tous les éléments à prendre en compte de manière secondaire alors qu’ils sont importants.
Enfin, j’ai eu du mal à situer la narration. Parfois le narrateur s’adresse à nous et coupe son récit avec des considérations personnelles, parfois on est dans un récit traditionnel où le narrateur n’intervient jamais… On a parfois l’impression d’une histoire orale comme si on nous racontait une histoire à l’oreille, mais d’autres fois on est bien en train de lire un livre. Bref, schizophrénie d’auteur ou manque de clarté ? J’ai là encore eu du mal à mettre tous les éléments à leur place.
A noter que le texte est augmenté de sympathiques dessins (de l’auteur ? je ne sais pas) illustrant les créatures de son livre. Un bon point quand on sait qu’elles ne sont pas de notre monde, ou presque.
China Miéville me fait donc l’effet d’un auteur en qui les idées fourmillent, impatient à l’idée de les mettre sur papier, mais qui de ce fait peinerait à se canaliser pour n’aller que dans une seule direction.

Pour qui : les lecteurs qui aiment les histoires haletantes, dans des monde apocalyptiques et inconnus.

Les + : Une ambiance intéressante peuplée de fer, de trains et de créatures monstrueuses.

Les – : Des bases faibles pour le scénario et une écriture parfois trop rapide.

Infos pratiques
format : Broché
Editeur : Fleuve éditions (13 octobre 2016)
Collection : Outre Fleuve
Langue : Français
ISBN-10: 2265116122
ISBN-13: 978-2265116122

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