Féro(ce)cités, collectif


Féro(ce)cités, Collectif (Recueil de nouvelles, éditions Projets Sillex)
Féco(ce)cités est un recueil de 10 nouvelles de fantasy animalière autour du thème de la cité chez nos amis à plumes, à poils ou à écailles.
Le point commun entre toutes les nouvelles est leur grande qualité. Les dix textes proposent un voyage en fantasy animalière très différents, sans redondance. C’est souvent le souci dans les recueils : les textes traitent des mêmes sujets ou thèmes et on peut avoir l’impression de tourner en rond. Or, ici, les auteurs ont su exploiter le thème de manière très différentes qui fera à coup sûr le bonheur des lecteurs. Chacun aura sa préférence, que ce soit pour l’une des espèces mise en avant, ou pour l’une de leurs cités. Pour rappel, les livres créés par Projets Sillex sont tous de très grande qualité, ce qui ravira les amoureux d’objets livres. Pour les valeurs de la structure, la qualité des plumes et du projet, je ne peux que vous encourager à découvrir le projet et participer aux campagnes.
Si vous souhaitez en savoir plus, découvrez le replay de l’émission du club de lecture consacré à Projets Sillex et au monde de l’édition en cliquant ici : Book Club #17.
La Voix des écorces, de Pauline Sidre : Quelle richesse de vocabulaire dans cette nouvelle qui ouvre le recueil ! On retrouve ici le talent de conteuse de l’autrice de Rocaille. J’ai beaucoup aimé, même s’il y a selon moi un peu trop d’éléments différents à mon goût pour une nouvelle (visions du passé/univers à découvrir, fonctionnement, personnages et fonctions, religion…). La nouvelle fait toutefois une cinquantaine de pages, ce qui ne donne pas une impression de rapidité et superficialité. L’histoire riche et les belles phrases la parsèment pour nous plonger au coeur d’une action un poil (ou plutôt « une plume ») un peu plus grande que la nouvelle elle-même. Je ne suis pas en train de réclamer un roman, car la nouvelle se suffit à elle-même, mais il faut rester concentré pour ne pas perdre le fil. Cependant, j’ai beaucoup aimé la monté en puissance du drame, les hypothèses, l’enquête, et le combat final. Un vrai film ! C’était immersif, bien mené, et la personnage principale est attachante. Un bon moment !
Entre chat et loup, de Kevane Demillas : Une histoire avec des animaux antropomorphes, qui se déplacent sur deux pieds et agissent comme des humains. J’ai trouvé intéressant l’idée de présenter un groupe de personnages, plutôt qu’un personnage principal et quelques personnages secondaires. Ici, même si on a une narratrice principale, l’histoire raconte les péripéties d’un groupe de mercenaires missionnés pour rechercher un loup soupçonnés de préparer un complot, et l’assassiner. Même si je me doutais de la chute, j’ai apprécié cette balade haletante. Kevane Demillas mise sur une course contre la montre pour donner du rythme à son texte et le résultat est plutôt efficace. Une idée que j’ai particulièrement apprécié et aurais aimé voir d’avantage développée, c’est le régime alimentaire des animaux. En effet, contrairement à certaines nouvelles où les animaux ne se mélangent pas, ici tous les animaux se mélangent. On croise aussi bien des chats/chiens que des oiseaux, des reptiles… et on évoque parfois le fait que les carnivores mangent des insectes. Contrairement au texte précédent où les protagonistes sont des oiseaux dont on suppose qu’ils se nourrissent de graines, j’aurais aimé en savoir plus sur les origines de la viande consommée par les carnivores de cet univers, qui en mangent encore. A priori, ils ne mangent pas d’humains. Alors quoi ? Cannibalisme ? Autre source ? Elevages douteux ? Dès lors que les êtres font civilisation, cela devient plus compliqué éthiquement de se nourrir de ses semblables. Kevane Demillas survole le sujet, ce qui a créé une petite frustration pour moi qui suis très curieuse, même si j’ai conscience que cette seule question aurait pu faire l’objet d’un texte à part entière.
Que gèle la sève, de Jason Martin : Une histoire étonnante, qui oscille entre « hors-sujet » et « dans le thème ». On y suit le parcours de Calamité, une carcajou, qui retourne au village des ratons laveurs pour y retrouver son frère.
La ville n’est pas très présente, et est plutôt campée par des campements et des visions lointaines.
En revanche, j’ai beaucoup aimé l’idée des ratons laveurs zombies et des champignon. Cela donne beaucoup de dramaturgie au texte et je me suis demandée jusqu’au bout comment tout cela allait se terminer. L’auteur joue avec notre espérance, et parvient à créer une fin inattendue.
Rage d’Ambre, de Xavier Watillon : Un texte dont j’ai aimé le style, l’ambiance un peu vaudou, le personnage de Ferune, qui a beaucoup de potentiel (je l’imaginais en lapine punk dans une cité futuriste), mais dont je ne suis pas sûre d’avoir bien tout compris. On y parle magie et pouvoir, relations et dépendance, passé et futur… L’ensemble m’a donné une impression de partir dans beaucoup de directions et m’a un peu perdue. Peut-être que le texte aurait gagné à être plus long pour laisser le temps au lecteur de bien en saisir toutes les subtilités. L’auteur a peut-être été un peu à l’étroit dans son format. Néanmoins, sa plume m’a intriguée et j’aimerais lire d’autres textes dans un format plus long pour voir s’il a su s’ouvrir et s’épanouir dans d’autres genres.
Piège à nuage, de Eymeric Amselem : Une nouvelle mélangeant ciel et mer, dans laquelle nous faisons la connaissance de Galléon, un Béluga, échoué sur une île pleine d’oiseaux, et fait la connaissance de Daenne, une gardienne. J’ai trouvé cette nouvelle un peu plus confuse que les deux précédentes. On sent que l’auteur veut nous faire passer un message (la finitude du monde, le mélange des cultures et des mondes, accepter l’étranger…) mais il m’a semblé que l’ensemble était parfois un peu confus. Je ne savais pas toujours très bien comment positionner les personnages « gentils ? méchants ? coupables ? Victimes ? ». Je n’ai pas su sur quel pied danser et les deux principaux protagonistes se tenaient dans mon esprit sans que je ne sache très bien dans quelle case les ranger. Peut-être est-ce tout simplement le but du texte, de justement montrer qu’on ne peut jamais se tenir dans une seule case ?
En revanche j’ai beaucoup aimé la fin, qui crée un réel élément de surprise et nous fait imaginer la suite. L’auteur a su me surprendre, ce qui fait que je me souviendrai de cette nouvelle principalement pour sa jolie chute.
Ventreille, de Edouard H. Blaes : Un texte dans lequel on trouve des idées intéressantes et originales, comme la mise en scène d’une pièce de théâtre, des combats à l’épée qui rappellent les Trois Mousquetaires. C’était intéressant à lire, à parcourir. Ventreille est une ville assiégée dans laquelle les habitants tentent de survivre. Ortant tente de sauver sa mère des griffes d’une sorcière du sommeil dans un combat plutôt original. On retrouve une ambiance « cape et épée ». Mon seul regret est peut-être dans la fin un peu « facile » offerte par l’auteur. Je préfère que les nouvelles proposent autre chose que ce qui ressemble à du déja-lu. Mais pour le reste, c’est bien écrit, immersif, et les personnages sont attachants. Un bon texte.
Alba de Jais, l’Anonymographe, de Fran Basil : Une histoire originale, intéressante, mise en abime… J’ai apprécié le parti pris de l’autrice, et les émotions qu’elle fait passer dans son récit. C’est très dynamique, presque haletant, et débouche sur une fin que je n’avais personnellement pas vue venir. Un texte où enquête et bagarre se mêlent au milieu de politique, sans pour autant trop verser dans le côté « Cape et épée », ce qui permet de ne pas être redondant avec d’autres textes du recueil. Ici les animaux ne sont pas particulièrement anthropomorphes, l’autrice a pris soin de les faire agir en fonction de leur corps, et de leur animalité. Elle maîtrise son sujet et il était facile d’imaginer les personnages vivres et bouger entre ciel et terre.
Peau de lapin, peau de chagrin, de Thomas Fouchault : La peau de chagrin, de Balzac, est dans ma PAL depuis plusieurs années. Si je ne l’ai pas encore lu, j’en connais au moins les grandes lignes : un homme qui vend son âme au diable en échange de voir ses souhaits exaucés, chacun d’eux faisant diminuer la taille d’une peau jusqu’à son anéantissement. Ici, Thomas Fouchault nous propose une réinterprétation du mythe, transposé dans le cadre de cette fantasy animalière propre au recueil. On fait la rendre de Muscade, un lièvre plein de rêves venu à Bardane pour devenir marchand. S’il espèce rencontrer le succès et rentrer chez lui avec la fortune, nous allons assister au contraire à sa déchéance. Après avoir vendu une partie de lui-même, ce qu’il prenait pour de la chance va vite lui tourner le dos.
J’ai beaucoup aimé ce texte également. La marque de fabrique de l’auteur est la poésie, que l’on retrouve ici incarnée dans le personnage du diabolique Sumac. Ce texte prend le temps de nous exposer la ville de Bardane, sa foire, ses coutumes… j’ai trouvé le tout vraiment bien dosé. L’histoire se suffit à elle-même. Tout arrive à un bon rythme, ni trop vite ni trop lentement, et j’ai eu pitié du pauvre Muscade. On assiste au piétinement de ses rêves, à l’anéantissement de ses espoirs, et l’histoire propose une boucle fort bien pensée. A la fin, je me suis dit « woaou ». Comme toujours avec Thomas Fouchault, c’est très bien écrit et immersif. Fort d’un vocabulaire riche qui insuffle la vie aux personnages et une belle consistance au décor de la cité si féroce. Bravo !
Mus de la brèche, de Jeanne Mariem Corrèze : Mus est une souris au triste passé dont le travail consiste à faire passer des souris de Merle-Saule jusqu’à Rodentia, la capitale du royaume d’Akodon. Mais Mus a un objectif secret : retrouver sa bien-aimée. Quitte à renoncer à ce qu’elle sait faire de mieux. J’ai beaucoup aimé ce texte. On est vite plongé dans un monde de souris aux multiples prédateurs. Très vite, je me suis attachée à Mus et ses compagnons, j’ai ressentis de la peur pour eux et j’ai eu envie de connaître la fin de l’aventure. L’auteur a passé beaucoup de temps à nous décrire le voyage des souris, et s’est finalement peu attardé sur la ville en elle-même. Les péripéties de Mus entre les murs ne sont pas le coeur de l’histoire. Mon seul regret est la fin, que je voyais différente, mais qui saura satisfaire la plupart des lecteurs. Pour une entrée en matière, j’ai beaucoup aimé ce que j’ai lu. C’est bien écrit, le vocabulaire est immersif, et surtout l’ensemble est très crédible. Je ne serais pas contre lire une histoire entière au sujet de Mus (oui, oui, c’est une demande à peine voilée).
L’incarnation d’Oalzo, de Delphine H. Edwin : Une très bonne idée ! J’ai beaucoup aimé ce texte, qui finalement tombait sous le sens. Comment parler d’animaux intelligents sans aborder le cas des cigognes qui font naître des âmes ? J’ai beaucoup aimé cette nouvelle plutôt émouvant et poétique. Elle se lit très vite et bien, avec quelques enjeux dramatiques qui tiennent en haleine jusqu’au bout. Les questionnements de Lanil sont émouvants et universels. On veut tous le meilleur pour les enfants et on finit par ressentir les émotions de Lanil lorsqu’il faut accepter de voir ceux qu’on aime prendre leur envol. Une belle façon de cloturer ce recueil.
Pour conclure sur cette lecture, ce que je retiendrai principalement est la grande qualité générale des textes. Rarement je n’ai eu à lire un recueil dans lequel tous les textes m’ont plu, et où toutes les plumes étaient bonnes. On sent que les autrices et auteurs ont travaillé le sujet spécifiquement pour ce recueil, pas seulement pour sortir un texte d’un tiroir et essayer de le faire publier. Cela présage de belles publications pour la suite.
Les + : Des textes tous différents qui traitent le sujet de manière originale, la qualité générale des textes est très bonne.
Les – : Mon seul petit regret concerne les splendides illustrations du recueil : on en retrouve certaines plusieurs fois. Mais je chipote.
Infos pratiques :
Recueil de 10 nouvelles
480 pages
Sortie : Été 2021